Le Royaume-Uni veut s’affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme
Boris Johnson en avait fait une promesse de campagne lors des élections générales de 2019 : mercredi 22 juin, son ministre britannique de la justice, Dominic Raab, a présenté un projet de loi, le Bill of Rights, censé remplacer la loi Human Rights Act de 1998 et donner à la Cour suprême britannique la primauté dans l’interprétation de la Convention européenne des droits humains sur la Cour européenne des droits de l’homme. Ce projet prévoit aussi que les cours britanniques (cours royales et cours d’appel) n’auront plus à appliquer diligemment les mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l’homme, ces décisions prises en urgence, souvent pour stopper l’extradition ou la déportation de demandeurs d’asile ou de personnes poursuivies en justice.
En préparation depuis plusieurs mois, le Bill of Rights a pris un coup d’accélérateur et un tour encore plus politique après que la juridiction de Strasbourg a émis des mesures provisoires bloquant, le 14 juin, l’envoi au Rwanda – depuis le Royaume-Uni – de demandeurs d’asile qui n’avaient pas obtenu que leur billet d’avion soit annulé par les cours britanniques. Le charter spécialement affrété par le gouvernement Johnson est resté cloué au sol, déclenchant la fureur des élus conservateurs et jetant un sérieux doute sur la capacité de Downing Street à mettre en œuvre sa politique migratoire.
Dérive de Donwing Street
Emportés par la colère, des députés tories tels Jonathan Gullis ont même réclamé le retrait pur et simple du Royaume-Uni de la Convention européenne des droits humains, un traité entré en vigueur en 1953, dont Winston Churchill était pourtant l’un des instigateurs et le pays un des premiers signataires… avant de rétropédaler : cette convention est une des bases juridiques du traité de paix du Vendredi saint de 1998 ayant mis fin à trente ans de guerre civile en Irlande du Nord. La Convention européenne des droits humains reste « compatible » et même « intégrée » dans le projet Bill of Rights a assuré Dominic Raab depuis la Chambre des communes, face à des oppositions – travaillistes et indépendantistes écossais du SNP – particulièrement critiques. « Ce projet va renforcer les droits des victimes », a ajouté le ministre.
Ce n’est pas l’avis d’une majorité d’experts en droit et de représentants des ONG, dénonçant une inquiétante dérive de Downing Street. « Ce texte va encourager des gouvernements populistes à l’est de l’Europe » à prendre leurs libertés par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme, a regretté la députée SNP Joanna Cherry. Dans les colonnes du Guardian, Sacha Deshmukh, responsable de la branche britannique d’Amnesty International, souligne qu’après que le charter pour le Rwanda a été bloqué, « on a entendu le même type d’attaques à l’encontre de la Cour européenne de Strasbourg qu’on aurait pu entendre de la bouche de Viktor Orban ou de Vladimir Poutine ». La Cour de Strasbourg est « un recours ultime inestimable » pour quantité de personnes, ajoute la responsable, « c’est vers elle que pourraient, par exemple, se tourner les avocats des soldats britanniques enrôlés par l’armée ukrainienne et condamnés à mort dans la république autoproclamée de Donetsk ».